Ne pas abolir le statut de danseuses de cabaret

Selon la CFM, la protection minimale qu'offre le statut des ainsi nommées danseuses de cabaret devrait être maintenue. Cependant, des mesures visant à protéger toutes les femmes de l'industrie du sexe devraient être prises, indépendamment du fait qu'elles proviennent d'Etats de l'UE ou d'Etats tiers. Des mesures appropriées ne doivent pas être fixées uniquement dans le droit des étrangers, mais elles doivent aussi ressortir du droit du travail.

Situation initiale

Depuis plus de 40 ans, l’admission d’artistes de cabaret étrangers est réglée via l’octroi d’autorisations de travail. Un statut spécial a été créé dans les années nonante, qui permet à des personnes de venir en Suisse pour y travailler en tant qu’artistes de cabaret. Il s’agit de personnes qui « présentent un numéro faisant partie d’un spectacle de variétés durant lequel elles se dévêtent partiellement ou intégralement sur un fond musical ».

Depuis la mise en œuvre de l’Accord sur la libre circulation des personnes, seuls les artistes de cabaret provenant d’Etats dits tiers sont encore dans l’obligation d’obtenir une autorisation. Leur statut constitue une exception au système binaire d’admission: les ressortissants, actifs professionnellement, d’Etats tiers n’obtiennent en principe une autorisation de séjour que dans les limites des contingents fixés et s’ils possèdent de solides qualifications. Or, l’admission d’artistes de cabaret en provenance d’Etats tiers n’est soumise à aucun contingentement. Le statut représente une exception à l’admission des travailleurs non qualifiés en provenance d’Etats tiers. Il se caractérise par une forte densité réglementaire, dont le but est de protéger les danseuses de cabaret menacées d’exploitation.

Des conditions de travail précaires

Les danseuses de cabaret sont des travailleuses dans une industrie spécifique, à savoir l’industrie du sexe. En Suisse aussi, cette industrie est une branche lucrative de l’économie. En dépit de la protection visée, les danseuses de cabaret en provenance d’Etats tiers sont souvent confrontées dans notre pays à des conditions de travail précaires. Cette précarité est influencée par la situation individuelle spécifique de la migration, des conditions de politique migratoire et du travail du sexe.

Pour obtenir une autorisation de travail, les artistes de cabaret en provenance d’Etats tiers doivent prouver qu’elles sont engagées pour une période d’au moins quatre mois consécutifs. En règle générale, les contrats de travail sont conclus par le biais d’une agence. Une fois en Suisse, les danseuses changent de cabaret quasiment tous les mois. Elles peuvent résider en Suisse et exercer une activité professionnelle pendant huit mois au maximum sur une période de douze mois. Si elles restent plus d’un mois sans engagement, elles doivent quitter la Suisse. Il leur est interdit d’accepter un autre travail. Il leur est impossible de transformer leur autorisation dans le but de stabiliser leur situation. Les danseuses de cabaret travaillent pendant la nuit. Généralement, leur salaire de base est complété par le fait qu’elles fournissent des prestations complémentaires – non autorisées légalement. Les danseuses de cabaret doivent résider au moins deux mois à l’étranger entre la délivrance de deux permis L.

Réexamen par la Confédération des conditions de protection

Dans le contexte de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) adoptée par les Nations Unies, l’Office fédéral des migrations (ODM) a pour tâche de vérifier périodiquement le statut des artistes de cabaret et l’efficacité de leur protection. Lors du dernier examen, l’ODM est parvenu à la conclusion que cette protection était insuffisante et que, de ce fait, le principe même du maintien du statut ne pouvait qu’être abandonné. La suppression de ce statut doit être assortie par l’ODM de mesures d’accompagnement. À cet effet, la protection des victimes doit être particulièrement renforcée. Les cantons sont notamment invités à continuer de développer les tables rondes en vue de lutter contre la traite d’êtres humains. De plus, les acteurs concernés doivent être sensibilisés davantage à cette problématique.

Mais comment se présente la situation en réalité? Plusieurs études montrent à quel point les situations, les marges de manœuvre et les stratégies des danseuses sont diverses. Néanmoins, nombre d’entre elles acceptent les conditions de travail précaires, afin d’améliorer les conditions d’existence de leur famille dans leur pays d’origine.

Position de la CFM

Les danseuses de cabaret agissent dans un espace transnational. Les conditions économiques et politiques structurent le cadre de leur activité au sein duquel elles mettent en œuvre activement et stratégiquement leurs plans. Le statut d’artiste de cabaret fait partie de ces conditions. Il est utile aux danseuses de cabaret pour entrer légalement en Suisse, pour y travailler et pour soutenir leurs familles dans leur pays d’origine. Pour les autorités, ce statut représente un instrument permettant de protéger les danseuses de cabaret menacées d’exploitation (sexuelle).

Depuis l’introduction de la libre circulation des personnes, les danseuses de cabaret se trouvent, selon leur origine, dans des situations diverses par rapport à la législation sur les étrangers:

Les artistes provenant des Etats de l’UE tombent sous les dispositions de l’Accord sur la libre circulation. Pour elles, il n’existe pratiquement aucun instrument de contrôle relevant de la législation sur les étrangers. Actuellement, il reste encore une certaine marge de manœuvre aux autorités uniquement pour les personnes provenant de Bulgarie et de Roumanie, car les contingents sont maintenus pour le moment. Il ressort néanmoins du « Rapport du Conseil fédéral sur la libre circulation des personnes et l’immigration en Suisse » que l’obligation d’annonce et d’autorisation qui existe encore est souvent contournée. Les personnes entrent légalement en Suisse en qualité d’étudiantes ou de touristes et travaillent pendant leur séjour sans y être autorisées dans le milieu de la prostitution et le milieu érotique. Des enquêtes ont révélé que les personnes en provenance de Hongrie, mais aussi de Roumanie et de Bulgarie, sont fortement touchées par la traite d’êtres humains.

Les danseuses en provenance d’Etats tiers sont autorisées à travailler en Suisse dans le cadre du statut d’artiste de cabaret. Dans le passé, ce statut pouvait avoir un certain effet protecteur (information sur la situation juridique, assurance maladie, salaire minimum garanti), mais certaines lacunes importantes sont également apparues (situation de court terme, absence de sphère privée, animation et prostitution illégales, crainte de perdre son emploi). Un grand nombre des problèmes rencontrés sont inhérents au statut même et ne peuvent être résolus du fait que les autorités augmentent la densité réglementaire. La suppression de ce statut affaiblirait la protection minimale offerte par le permis L octroyé aux artistes de cabaret en provenance d’Etats tiers. Il y a lieu de supposer qu’avec la suppression de ce statut les femmes en provenance d’Etats tiers seront plus nombreuses à exercer illégalement dans les quartiers chauds et dans l’industrie érotique et/ou à devenir victimes de la traite d’êtres humains.

Incontestablement, le travail dans le milieu de la prostitution et l’industrie du sexe, quelle que soit la façon d’exercer la profession, est lié à des risques considérables et il faut renforcer la protection des personnes actives dans ce domaine contre l’exploitation, les abus et les risques pour leur santé. C’est pourquoi la CFM adopte une prise de position selon laquelle la protection minimale dont bénéficient actuellement, grâce à leur statut, les danseuses en provenance d’Etats tiers, doit être maintenue. À cela s’ajoute que, de son point de vue, des mesures doivent néanmoins être prises pour protéger toutes les femmes travaillant dans le milieu de la prostitution et l’industrie du sexe, indépendamment du fait qu’elles sont originaires d’Etats de l’UE ou d’Etats tiers. Des mesures appropriées ne doivent pas seulement être fixées dans le droit des étrangers, elles doivent aussi ressortir du droit du travail, car le travail du sexe est une activité légale dans le cadre des conditions et des obligations réglées par la législation.

La CFM recommande les mesures suivantes:

  • Les autorités devraient tendre à changer les paradigmes en renonçant à la répression exercée pour des délits relevant de la police des étrangers pour protéger les prestataires de services dans le milieu de la prostitution et de l’érotisme.
  • Il conviendrait de donner une nouvelle interprétation à l’art. 23 LEtr. Les personnes travaillant dans l’industrie du sexe et de la prostitution devraient, elles aussi, être considérées comme des spécialistes et des travailleuses qualifiées. Elles devraient pouvoir venir en Suisse exercer dans le cadre des contingents habituels de ressortissants d’Etats tiers au bénéfice de permis de séjour de courte durée ou de séjour. À titre de reconnaissance en tant que spécialistes, on pourrait aussi penser à les inclure dans l’article 23, alinéa 3, lettre c de la LEtr:
    3 Peuvent être admis, en dérogation aux alinéas 1 et 2:
    […]
    c. Les personnes possédant des connaissances ou des capacités professionnelles particulières, si leur admission répond de manière avérée à un besoin.
  • Les autorités locales compétentes devraient réglementer le milieu de la prostitution et les milieux érotiques à l’aide de lois ou d’ordonnances sur la prostitution, et de réglementations de police du travail ou de directives relatives aux plans de zones.
  • Comme cela se fait, par exemple, dans le secteur de la construction, des contrôles devraient être effectués systématiquement aussi dans le milieu de la prostitution et des salons érotiques. Sur mandat d’une commission tripartite et des autorités cantonales compétentes, un office de surveillance et d’inspection du travail devrait être chargé de veiller aux conditions de travail et aux conditions salariales. Quiconque emploie illégalement des personnes ou recourt aux services de personnes occupées illégalement devrait s’attendre à des sanctions.
  • Il faudrait envisager la création d’associations organisées syndicalement, qui défendent les intérêts des personnes travaillant dans l’industrie du sexe.
  • Incontestablement, les actifs travaillant dans le domaine de la prostitution et les milieux érotiques ont grand besoin d’offres d’information et de prévention. Les institutions qui assument ces tâches devraient être indemnisées pour leurs prestations.
  • Il conviendrait de promouvoir les projets de recherche dans les milieux de la prostitution et de l’érotisme. Une étude comparative au niveau international sur des modèles de cabaret pourrait par exemple fournir des points de vue importants et montrer des solutions de rechange.
  • Dans le domaine de la traite d’êtres humains, les cantons devraient désigner des spécialistes et encourager l’échange et la formation continue. Au niveau de la Confédération, des experts devraient renforcer la coopération internationale en la matière.
  • Des améliorations ont été obtenues au cours des dernières années dans le domaine de la protection des témoins. Il conviendra de poursuivre ces efforts.

Aux yeux de la CFM, ce n’est que lorsqu’un train de mesures de protection appropriées sera mis au point et mis en œuvre que l’on pourra renoncer au statut des artistes de cabaret. En outre, il faudrait impérativement envisager, parallèlement à cette abolition, la régularisation de la situation des femmes qui travaillent depuis plusieurs années en Suisse en qualité de danseuses.

Dernière modification 25.09.2012

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